C’est l’histoire banale d’un fond de prairie. Ça se passe non loin de chez moi mais malheureusement aussi à bien d’autres endroits partout en Wallonie. Je garde le souvenir d’une belle observation de chevreuils réalisée là il y a quelques années. La route qui longe la prairie n’inquiétait en rien les animaux qui levaient la tête de temps à autre pour évaluer le danger et retourner aussi vite à leur activité d’herbivores. Plus tard, ce sont les sangliers qui se sont entichés de ce coin de campagne. Si leur observation directe était plus difficile, on voyait sans peine les traces de leur passage : plusieurs fois par an, une bonne part de la prairie se faisait retourner, imposant à l’agriculteur de remettre la terre à plat et de ressemer. Ces dernières années, à mesure que la densité de sanglier augmentait, on a vu ces dégâts croître sans cesse. Jusqu’au jour où l’agriculteur a jeté l’éponge en décidant de vendre sa prairie.
La pression foncière lui a permis d’en retirer un bon paquet d’argent. Une transaction inespérée il y a quelques années encore pour une prairie peu productive en bord de bois et mal exposée comme celle-là. L’heureux nouveau propriétaire avait un projet bien précis et il ne tarda pas à convertir le tout en une imposante plantation de sapins de Noël. Et oui, voilà une manière de rentabiliser l’important investissement réalisé. Désherbé chimiquement plusieurs fois par an, l’endroit est à présent devenu un désert biologique qui fait peine à voir surtout lorsque l’on a connu la prairie extensive d’avant. Un vaste espace qui se pare régulièrement d’une couleur rousse dont émergent quelques brins épineux perdus dans cette marée de plantes mortes. Seules subsistent quelques plaques de mousses qui démontrent la pollution chronique du sol et la banalisation totale de la végétation à cet endroit.
Il m’arrive de rencontrer des personnes qui pensent sincèrement qu’en matière de nature les choses vont mieux, que les naturalistes feraient bien de voir la bouteille à moitié pleine plutôt qu’à moitié vide, que les efforts environnementaux consentis sont colossaux et inédits, etc. Je ne veux bien entendu pas nier les initiatives positives qui existent bel et bien mais je voudrais répondre à ces personnes qui minimisent les pressions actuelles. Lorsque l’on ouvre les yeux sur son environnement immédiat, force est de constater que le bilan net est une régression toujours plus marquée de l’accueil de la vie sauvage dans sa diversité. Les restaurations et préservations menées ça et là ne compensent en rien les innombrables attaques faites au patrimoine naturel. Bien souvent par des actes de faible ampleur voire anodins mais qui, lorsqu’ils sont mis bout à bout, rendent nos paysages de plus en plus aseptisés et dépourvus de biodiversité. Il en va ainsi notamment de la culture de la toute grande majorité des sapins de Noël produits en Wallonie et que l’on exporte fièrement et parfois bien loin en pavoisant sur la qualité de nos arbres. Invitons donc les futurs acquéreurs de ces « beaux sapins » à découvrir le mode de production, on verra si l’on parle toujours de « haute qualité ».
Les alternatives existent, on peut désherber les parcelles mécaniquement ou grâce à du pâturage ovin par exemple. Moi, je suis d’accord de payer pour cette production alternative et vous ?
Et dire que demain, grâce à ce magnifique Code de développement territorial, la culture de sapins de Noël risque bien d’être autorisée également en forêt. Comme si les bois avaient besoin d’une arme de banalisation massive comme celle-là …