Quelque 915 arbres, dont 200 avec une circonférence de plus d’un mètre et une soixantaine d’arbres de plus de deux mètres de circonférence, vont être abattus prochainement. Une vente de bois comme tant d’autres finalement. Un événement anodin qui révèle pourtant les failles d’un domaine vital : celui de la protection de la nature en Wallonie. Car le Bois d’Ellinchamps est sensé être classé pour le bien et le meilleur de la biodiversité forestière. Depuis 1993 quand même …
Article paru dans La Libre Belgique, le 14/10/2021. Voir la version en ligne sur le site du quotidien ici.
Ils l’ont fait … Il y a une dizaine de jours, nous tirions la sonnette d’alarme sur une exploitation forestière imminente à Resteigne. Quelques jours plus tard, le 05 octobre, la vente des arbres du Bois d’Ellinchamps a été conclue au profit de la commune de Tellin pour un montant d’un peu plus de 31.000 euros. 915 (!) arbres, dont 200 avec une circonférence de plus d’un mètre et une soixantaine d’arbres de plus de deux mètres de circonférence, vont être abattus prochainement. Beaucoup de hêtres, quelques chênes, des érables, etc. A l’inventaire, on retrouve même quelques arbres secs… Une vente de bois comme tant d’autres finalement. Un événement anodin qui révèle pourtant les failles d’un domaine vital : celui de la protection de la nature en Wallonie. Car le Bois d’Ellinchamps est sensé être classé pour le bien et le meilleur de la biodiversité forestière. Depuis 1993 quand même …
On rétorquera aux naturalistes que l’exploitation dans cette réserve forestière n’est pas si dramatique que cela finalement. Il existe d’autres hêtraies dans le coin, s’il fallait s’émouvoir pour chaque arbre tombé ! Oui mais … le cas de ce Bois d’Ellinchamps est l’arbre qui cache une forêt d’incohérence, celle de la gestion des forêts dans les périmètres protégés. Pour clarifier, on parle donc ici des zones classées en réserves naturelles domaniales ou agréées ou encore en réserve forestière comme ici à Ellinchamps. En surface et si l’on admet que la moitié des espaces strictement protégés comme on dit sont boisés, on parle donc d’environ 0,5% du territoire wallon. Loin de vouloir imposer une non gestion à l’ensemble de la forêt wallonne, la position défendue dans cet article est de respecter l’engagement de protection de la biodiversité dans les périmètres qui ont été classés dans cet objectif.
Il est vrai que le cas des réserves forestières est un peu particulier car ces espaces, même après leur classement, restent soumis au régime forestier. Ils sont donc gérés par l’administration forestière. Cependant, dans les autres réserves naturelles aussi, on continue de temps à autre de couper du bois alors qu’il conviendrait le plus souvent de laisser vieillir la forêt en libre évolution. Le motif de la sécurité, s’il se justifie parfois, cache souvent une difficulté presque philosophique, celle de laisser évoluer la forêt naturellement.
Pour en revenir à la réserve forestière, on peut y continuer les coupes pour maintenir un faciès, un certain type de forêt. A l’époque du classement de la réserve du Bois d’Ellinchamps, une analyse phytosociologique du site avait préconisé de maintenir le site en l’état pour conserver son faciès caractéristique en concluant qu’elle faisait confiance au DNF garante de la bonne gestion des bois pour poursuivre dans ce sens. Un des dogmes centraux qui transparaît dans cette analyse des années 1990 et qui poursuit son emprise encore aujourd’hui est que la forêt aurait besoin des hommes pour se perpétuer … Un dogme très largement partagé dans la profession forestière qui, du coup, voit du plus mauvais œil toute tentative de laisser faire la nature. N’y a-t-il pas là une certaine forme d’arrogance et d’aveuglement de la part d’une corporation qui semble oublier que la forêt se débrouille seule depuis des millénaires ? Si on ne lâche pas un minimum la bride dans une réserve dédiée à la nature, où est-on encore capable de le faire aujourd’hui en Wallonie ?
Si la vente des arbres marqués a pu avoir lieu à Resteigne, c’est parce qu’elle n’est pas considérée comme illégale. Par son ampleur, 915 arbres abattus sur 20 hectares, cette exploitation transgresse pourtant allègrement les objectifs assignés à cette réserve forestière par ailleurs classée Natura 2000 et accueillant bon nombre d’espèces protégées. L’ouverture massive du couvert, les dégâts au sol et au reste de la végétation, la suppression d’arbres morts et dépérissants sont autant d’actions qui vont directement à l’encontre du maintien de la biodiversité forestière. Avec une telle coupe, impossible de préserver l’intégrité du milieu et du sol comme exigé par la loi à cet endroit. Personne ne peut le nier mais tout le monde semble résigné à regarder ailleurs. Venant d’un gestionnaire public sensé donner l’exemple mais également en charge du contrôle de l’application des normes de conservation de la nature partout en Wallonie, c’est gênant et peu rassurant.
Pour la galerie, deux clauses d’exploitation cosmétiques sont reprises dans la vente, elles font figure de bonne conscience et ne permettront pas d’éviter les dégâts.
Le plan de gestion du Bois d’Ellinchamps est pour le moins peu accessible alors qu’il serait assez logique de rendre ces documents publics pour toutes les réserves naturelles, forestières ou non. L’accès à l’information en matière d’environnement est un droit et aussi une nécessité pour permettre au plus grand nombre de comprendre et d’adhérer aux programmes de protection de la nature.
Sur le portail biodiversité de la Wallonie, on peut lire que les coupes de taillis restent autorisées. C’est peu de dire que l’exploitation en cause ici va beaucoup plus loin. Il y a donc incohérence et manque d’information manifeste.
Dans le Bois d’Ellinchamps finalement, on chasse comme on veut et on coupe du bois comme on veut. A tel point que l’on peut se demander quelle est la différence entre une réserve forestière et une forêt normale ?
En effet, bonne chance à un non initié pour s’y retrouver dans les sites protégés en Wallonie. Nos statuts de protection sont trop nombreux et trop flous et n’incitent pas à leur respect. Aujourd’hui, une surface classée par un arrêté ministériel en vertu de la Loi sur la conservation de la nature serait finalement moins protégée qu’un îlot de sénescence désigné presque informellement (pas d’info publique, ni de garantie dans le temps) en vertu du Code forestier … C’est surréaliste à une époque où la protection de la biodiversité est dans tous les discours.
N’est-il pas urgent de revoir les règles de gestion dans les réserves forestières ? A l’inverse, si on maintient le système en l’état, les réserves forestières ne devraient-elles pas sortir des statistiques de protection, cette jauge nous permettant de voir si l’on progresse dans le chantier de la protection de la biodiversité ?
Bon nombre de réserves forestières sont des propriétés communales. En interdisant l’exploitation dans ces sites, on risque donc de couper dans des revenus communaux planifiés. Le contrat moral adopté lors du classement des sites serait même en péril. Si ce contrat tacite sous-entendait que l’on continuerait à y exploiter comme avant, ce n’est pas d’un contrat moral qu’il s’agit mais bien d’un engagement hypocrite de toutes les parties : on classe pour ne rien changer. Les surfaces en jeu restent aussi très faibles au regard de l’ensemble des propriétés forestières d’une commune. La protection de la nature étant par ailleurs également une mission de service public sous la responsabilité communale.
Avec quoi tu viens ? Et si tu laissais un peu les forestiers gérer ce bout de bois de manière sereine ? C’est un des enseignements du cas d’Ellinchamps aussi. Les naturalistes sont bien utiles pour relever des espèces, alimenter des bases de données, aider à la gestion de lieux emblématiques comme les pelouses calcaires à genévrier présentes à deux pas du bois mais, quand il s’agit de gérer la forêt, ce serait bien qu’ils laissent faire les forestiers. Il arrive que les deux casquettes se mêlent (oui ça existe des forestiers naturalistes mais c’est bien trop rare) mais dans ce cas, les critiques ne tardent pas à tomber : Faux frère ! Excusez-le, il ne s’en rend pas compte de ce qu’il dit !
Résultat dans le cas d’Ellinchamps, l’administration forestière s’entête et vend les bois sans même prendre le temps d’une concertation avec les naturalistes qui les alertent depuis des mois. C’est un gâchis pour les relations humaines aussi.
C’est un débat récurrent toujours sans issue. En Wallonie, l’administration qui gère les bois, c’est le Département de la Nature et des Forêts. Cette composante Nature qui domine dans son titre et même si elle se développe dans l’ensemble du cadre, y reste encore beaucoup trop marginale. La faute à une charge administrative décuplée, à des missions que l’on n’a cessé d’empiler et à des triages forestiers toujours plus grands. A la tête de son triage et quand il ne fait pas en plus l’intérim du voisin, le garde forestier est bien incapable de trouver du temps pour se rendre compte de l’évolution des petits milieux présents çà et là. C’est pourtant l’essence même du maillage écologique que le DNF a pour mission de maintenir et de développer. On se concentre alors souvent sur les missions « essentielles » : produire du bois et organiser la chasse. Quand la filière économique est assurée, les autres fonctions ramassent les miettes.
Alors lorsqu’un naturaliste vient avec un projet de protection de la nature comme un classement de nouvelle réserve, il est écouté … et prié de patienter un bon nombre d’années. L’intérêt biologique du lieu n’est pas en cause. Malgré les engagements volontaristes du Gouvernement, 1.000 hectares de nouvelle réserve par an, le temps manque aux agents pour faire avancer les dossiers. L’urgence était autre lorsqu’il a fallu boucler les aménagements forestiers au risque de perdre la certification PEFC.
Créer une administration de la nature est-elle la solution ? En quoi ce petit poucet serait plus écouté ? Donner du temps et nourrir les compétences ainsi que la conviction naturaliste de chaque agent du DNF devrait être la priorité.
Madame la Ministre, si vous lisez ce papier, voilà un défi peut-être moins glorifiant que la création du premier parc national wallon mais autrement plus indispensable pour redresser la barre de la biodiversité en Wallonie.
Et pour Ellinchamps, finalement qu’est-ce qu’on fait ? On garde la tête dans le sable, on installe une ZAD ou on revient à la raison en annulant la vente au profit de la biodiversité ?